par C. Gombert, S.Perrot, et S. Scheffer.
Innover tout en assumant une charge de travail opérationnelle importante, être flexible et disponible tout en préservant son équilibre professionnel, multiplier les projets et les initiatives tout en diminuant le budget et la marge de manoeuvre de l’équipe … Face à une complexité et une incertitude croissante en entreprise, à un environnement volatil et ambigu et à une autonomisation croissante des travailleurs, nous assistons à une multiplication des réglementations, procédures, injonctions et attentes dans l’entreprise. Dans ce contexte, le travailleur ne doit plus simplement respecter sa fiche de poste ou observer les directives de son superviseur direct, il est contraint de faire face à des situations de travail sources de tensions, qui s’apparentent à des noeuds inextricables.
En s’appuyant sur la grille d’analyse de Djabi et Perrot[1], il est possible de caractériser ces situations à travers 4 formes génériques de tensions de rôles. Les attentes et injonctions adressées au travailleur peuvent être contradictoires, ambiguës, en conflit avec les attentes individuelles, ou excessives, conduisant à des situations de tensions et surcharges (quantitative, mentale …) pour l’individu. Ces formes de tensions de rôles sont en interaction, non pas statiques, mais dynamiques, puisqu’en s’accumulant ces situations peuvent devenir de plus en plus inextricables (chercher à répondre à une attente pouvant tendre le noeud vis-à-vis des autres), s’enchainer (une tension de rôle en entrainant une autre) et s’accumuler. Par exemple, diminuer les ressources allouées au personnel de santé tout en maintenant un volume de soin constant ou croissant peut entrainer tant des dissonances éthiques que des surcharges de travail ou des atteintes à la sécurité des personnes, soignants et patients. Au cœur d’un système complexe, ces tensions de rôles créent de nombreux effets négatifs sur les individus et les équipes et représentent un risque psychosocial avéré pour ces derniers : charge de travail, responsabilités inassumables, perte de contrôle, isolement, honte, peur, stress … Les réponses immédiates face à ces dissonances sont de trois ordres : fuite, paralysie ou agressivités, en imaginant toutes les conséquences qui peuvent en résulter. Comment s’extraire de ces dissonances et tensions portant sur l’individu, alors qu’elles sont bien souvent inconscientes et involontaires ? Quelles sont les possibilités qui se présentent à l’individu confronté à ces situations et potentiellement victime de leurs conséquences ?
Une première voie pour l’individu peut être de mettre en place des mécanismes de protection pour éviter de subir les conséquences de ces situations. Ils ne permettent pas de les surmonter ou de « sortir par haut » de cette situation a priori inextricable, mais ont le mérite de limiter les effets potentiellement catastrophiques de celle-ci sur l’individu lui-même. Il peut notamment s’agir de choisir de se distancier de la situation (et plus généralement du travail) en modulant son engagement (quiet quitting), voire d’abandonner son poste de travail pour éviter de faire face à ces dissonances. Il s’agit d’une forme de fuite, l’une des réponses immédiates précédemment évoquée.
Deux autres voies devraient permettre de sortir « par le haut » de la situation, qui dépassent la paralysie ou l’agressivité, en démêlant l’enchevêtrement de noeuds provoqué par ces attentes ou injonctions contradictoires, ambiguës, excessives, ou contraires aux valeurs professionnelles de la personne. Toutes deux supposent de prendre du recul, conscientiser et expliciter l’inextricabilité de la situation :
• Mettre en lumière le paradoxe auprès des émetteurs de ces situations afin de leur transférer la responsabilité de la décision à prendre : « OK, pour réaliser ces trois projets, il me faut 10 ressources, j’en ai seulement 7, préfères-tu que nous prenions du retard sur les trois projets, que nous en décalions un des trois, ou que nous grillions les sept personnes de l’équipe ? ».
• Chercher la « troisième voie » intégrant l’ensemble des attentes contradictoires auxquelles fait face l’individu, ce qui peut nécessiter de faire collaborer les différents émetteurs de ces attentes, c’est du moins ce que recommanderait Mary Parker Follett : « Je travaille sur deux projets très différents ayant des emplois du temps concurrents (daily meetings aux mêmes heures, échéances communes …). Plutôt que privilégier l’un au détriment de l’autre, je vais organiser une réunion avec les deux chefs de projets pour permettre la bonne réalisation de chacun ». Une démarche de confrontation active et coresponsable, « danser ensemble au lieu de se battre » pourrait-on écrire.
Ces tensions de rôles représentent un risque important pour l’individu, voire un danger. Pour éviter toutes conséquences néfastes, l’individu peut tout à fait chercher à s’en prémunir, à travers des mécanismes de protection individuels. L’alternative, trop souvent oubliée, reste la communication. Le travailleur n’ayant souvent pas le pouvoir de délier ce noeud seul, il apparait nécessaire, et pertinent, d’exposer la situation à ceux qui détiennent ce pouvoir, en leur transférant la responsabilité de prendre une décision face à des attentes contradictoires, ou en leur donnant l’occasion de trouver collectivement de nouvelles manières de faire réduisant les tensions tout en restant performantes.
[1] Djabi, M. & Perrot, S. (2016). Tensions de rôle : proposition d’une grille d’analyse. Management international, 21, 1, 140-148.
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