Par Anne Fauquembergue, source France Culture.
Entretien | Ancien médecin militaire, Édith Perreaut-Pierre a inventé la méthode TOP, pour Techniques d’Optimisation du Potentiel. Développée au sein de l’armée dans les années 1990 pour gérer le stress opérationnel, cette méthode est actuellement déployée dans plusieurs services publics et dans le privé.
À l’occasion de l’opération militaire Résilience décidée par Emmanuel Macron le 25 mars 2020 dans le cadre de la pandémie de Covid-19, les militaires ont eu l’occasion de sensibiliser les soignants à une pratique qu’ils utilisent depuis les années 1990 : les Techniques d’Optimisation du Potentiel. Cette méthode est actuellement déployée dans la police, chez les soignants, pompiers des services départementaux et de secours et en entreprises, à la SNCF ainsi que dans des secteurs très variés. Rencontre avec Édith Perreaut-Pierre, l’ancien médecin militaire qui en est à l’origine.
Pourrions-nous d’abord revenir sur votre parcours ? Quelle a été votre formation initiale et pourquoi avez-vous cherché à développer ces techniques dites d’optimisation du potentiel ?
J’ai été formée à la médecine à Dijon, étant bourguignonne. J’ai eu connaissance de la possibilité de m’engager dans l’armée et cela m’a attirée parce que j’étais très intéressée par le travail en équipe. J’ai fait mon stage d’interne à l’hôpital militaire de Dijon. Ensuite, j’ai commencé ma carrière dans des régiments d’infanterie en Allemagne (Les forces françaises en Allemagne, les FFA) puis j’ai été mutée dans l’artillerie et en gendarmerie.
Dès mes études, je me suis intéressée à la médecine du sport et c’est en tant que médecin du sport que j’ai rejoint en 1989 l’Ecole Interarmées des Sports de Fontainebleau. Entre autres activités je faisais des bilans physiologiques et je m’occupais de la préparation mentale des sportifs de haut niveau du Bataillon de Joinville. C’est là qu’il m’a été demandé de déployer une méthode permettant de gérer le stress et la fatigue opérationnelle. Comme il s’agissait de former des personnels non soignants, j’ai mis au point une approche strictement pédagogique à partir de 1991 appelée » les Techniques d’Optimisation du Potentiel ».
Par la suite, j’ai été mutée au Centre d’Etudes et de Recherches Psychologiques de l’Armée de l’Air (CERP’AIR) pour développer cette méthode au profit des pilotes, des contrôleurs aériens et de l’ensemble des personnels de l’armée de l’air. Enfin, j’ai terminé ma carrière à l’Institut de Recherche Biomédicales des Armées (IRBA)* qui se trouve à Brétigny-sur-Orge.
J’ai quitté l’armée le 31 décembre 2010. Je suis aujourd’hui formatrice TOP (NDLR : Édith Perreaut-Pierre est directrice pédagogique associée de l’entreprise coévolution et a déposé sa marque Techniques d’Optimisation du Potentiel®) et référente du programme de psycho-éducation dans le centre de protection de l’enfance et de l’adolescence de l’hôpital du Kremlin Bicêtre.
Quelle a été votre approche pour créer les techniques d’optimisation du potentiel ?
J’ai choisi de me positionner dans le champ pédagogique. Par ailleurs, il fallait que cette méthode s’adresse à tous les grades. Au départ, j’ai un peu tâtonné. J’étais formée à la sophrologie et à l’hypnose ericksonienne, j’avais fait un peu de PNL (Programmation neuro-linguistique) et j’ai donc proposé de la sophrologie aux aspects dits pédagogiques. Mais cela ne répondait pas du tout aux attentes des militaires. J’ai donc pris en compte leurs retours. Il fallait que ce soit bref et facile à intégrer dans leur quotidien. Quand ils m’expliquaient qu’ils n’avaient pas le temps de faire de la préparation mentale, je leur répondais : « Bon…Venez, on a au moins le temps de respirer… »
J’avais lu beaucoup à l’époque et j’avais remarqué que toutes les méthodes comme le yoga, la sophrologie, le training autogène de schultz ou l’hypnose avaient des points communs : des piliers. C’est pourquoi les TOP se fondent sur quatre piliers : la respiration, l’imagerie mentale, le dialogue interne et la relaxation.
Il faut voir la méthode comme un ensemble de techniques qui permettent de mobiliser au mieux toutes ses ressources, qu’elles soient physique, psychologique, émotionnelle, intellectuelle, cognitive. Et on les mobilise en fonction des exigences de la situation. Par exemple, si j’ai un temps creux, je vais en profiter pour bien me ressourcer dans le temps dont je dispose pour ensuite pouvoir disposer d’un maximum de ressources. On ne peut pas rester sur le pont tout le temps, donc c’est vraiment de la gestion de la dépense énergétique.
On comprend l’idée de respiration et de relaxation. À quoi se réfèrent plus précisément l’imagerie mentale et le dialogue interne ?
On entend par imagerie mentale tout ce qui relève de nos sens : le visuel, l’auditif, l’olfactif, le gustatif et le kinesthésique qui se rapporte à nos récepteurs cutanées, internes et à l’équilibre. Chacun utilise un ou plusieurs sens comme cela lui convient au moment où il fait un travail mental. Le dialogue interne est une compétence extraordinaire que nous utilisons très peu mais qui est pourtant essentielle à l’action ! En effet, les mots articulent nos actions. Quand on pense, on se parle.
Ce qui est important dans le dialogue interne, c’est la phase articulatoire, le fait d’articuler les mots. Des études récentes ont montré par exemple que pour mémoriser, c’est le fait d’apprendre tout haut qui est le plus efficace. Dans les TOP, nous apprenons à nous parler en positif, avec bienveillance. Si nous arrivons à le faire avec nous-même, nous pourrons le faire avec les autres. C’est quand même plus motivant dans la durée de se dire : « Ah bah tiens, je suis content de ce que j’ai fait« , plutôt que « Cela aurait pu être mieux » ou de se dénigrer soi-même.
Comment votre méthode est-elle mise en pratique ?
En fonction des corps de métiers et des objectifs de chacun, je propose des séances que j’aime bien appeler « cours » pour insister sur la dimension pédagogique. Le plus intéressant consiste à former les personnes à l’ensemble des techniques qu’on appelle « boîte à outils » pour qu’elles puissent ensuite se prendre en charge dans toutes les circonstances de leur vie, en toute autonomie. Mais ces séances ne peuvent être réalisées qu’avec des volontaires !
En une vingtaine d’heures, il est possible d’acquérir les bons réflexes, d’entrer dans un cercle vertueux pour que les personnels soient bien dans toutes les circonstances de leur vie, qu’ils dorment, qu’ils récupèrent pour pouvoir utiliser les ressources dont ils ont besoin quand ils s’engagent dans une activité.
Aujourd’hui, votre méthode se diffuse au sein des grands services publics. Quel est votre modèle exactement ?
Le modèle qui a fait ses preuves est celui que j’avais mis en place à l’époque dans l’armée et qui a été développé dans la police. J’ai commencé par former des policiers curieux des TOP. Certains ont souhaité diffuser la méthode à leurs collègues. Ils ont été formés pour devenir ce qu’ils appellent formateurs puis formateurs de formateurs et enfin experts. La formation de formateurs (ou Praticien dans le privé) commence par une formation initiale ou « TOP pour soi » car il est impératif de se former pour soi-même avant de vouloir le faire pour les autres.
Votre activité consiste donc à former des pionniers dans chaque institution volontaire
Effectivement. Plutôt que de former des personnes qui agiront de leur côté sans soutien, je pense que le déploiement comme cela a été fait dans la police est intéressant si on veut en faire bénéficier le plus de personnes possible dans les institutions.
Comment expliquez-vous ce décalage de trente ans entre le moment où vous inventez les TOP et leur diffusion actuelle ?
C’est malheureusement la nature humaine d’attendre ! En 1991, il y a trente ans, quand j’ai développé la méthode, nous étions en pleine guerre du Golfe. Le déploiement des TOP démarre d’abord tout doucement puis s’accélère avec la guerre en Yougoslavie. Puis, des Techniques de récupération issues de la méthode sont intégrées dans les sas de fin de mission pour les soldats de retour d’Afghanistan. En 2015, quand j’organise ma première formation initiale dans la police, le dernier jour du stage se produit l’attentat du Bataclan. Cet événement a créé un besoin très fort. Actuellement, la crise sanitaire dure et impose de former les personnels pour qu’ils puissent récupérer de leur fatigue et aborder la vie un peu plus positivement.
* Les effets de la méthode sur le stress, la résilience, la cohésion d’équipe, la fatigues ou les apprentissages etc. ont été validés, notamment par l’IRBA et dans diverses universités (elles ont fait l‘objet de différentes thèses).